La frappe ukrainienne sur Makeïevka, la nuit du Nouvel An, a fait 89 morts, a annoncé mercredi 4 janvier la Russie où des rassemblements à la mémoire des soldats tués ont donné lieu à de rares manifestations publiques de colère et de tristesse.
Le nombre de victimes dans les rangs russes, initialement estimé à 63, a été revu à la hausse après la découverte de nouveaux corps dans les ruines d’un bâtiment à Makeïevka, visé par une frappe ukrainienne le 1er janvier à 00h01 (22h01 TU), a indiqué le général russe Sergueï Sevrioukov dans un message vidéo diffusé par le ministère russe de la Défense.
La géolocalisation en cause
« À l’heure actuelle, une commission mène l’enquête sur les circonstances » de l’attaque, a-t-il dit. « Mais il est déjà évident que la cause principale […] est l’allumage et l’utilisation massive par le personnel de téléphones portables à portée des armes ennemies, contrairement à l’interdiction », ce qui aurait permis de géolocaliser les troupes, a expliqué le général. Il s’agit du plus lourd bilan en une seule attaque admis par Moscou depuis le début de l’offensive en février.
Cette attaque confirme l’absence de formation de ces jeunes mobilisés, et elle confirme les défaillances des forces armées russes (…) Ces jeunes n’étaient visiblement pas encadrés…
Fait inhabituel en Russie, où les pouvoirs publics restent discrets sur les pertes militaires en Ukraine, environ 200 personnes se sont réunies avec l’aval des autorités à Samara (centre), d’où étaient originaires certains des soldats tués, pour pleurer les morts lors d’une cérémonie orthodoxe.
« Le ministère de la Défense russe était dans l’impossibilité de ne pas réagir »
Pour Anne de Tinguy, professeur des universités émérite à l’Inalco et chercheuse au Ceri, le pouvoir russe ne peut plus tout cacher. « Je pense que le ministère de la Défense russe était dans l’impossibilité de ne pas réagir [à l’attaque]. Et ce qui est très intéressant, c’est de voir que malgré la censure, malgré la répression, malgré tout ce que nous savons sur la limitation des médias en Russie, le contrôle des médias qui est extrêmement fort, malgré cela, l’information circule en Russie de plus en plus, explique-t-elle au micro de Sylvie Noël, du service international de RFI. Elle circule via les réseaux sociaux, elle circule via le bouche-à-oreille, via les téléphones portables des mobilisés qui téléphonent à leurs mères qui, elles-mêmes, se regroupent avec d’autres mères, etc. Et donc, en effet, il y a un moment où le pouvoir ne peut plus tout cacher malgré le discours très lénifiant de Monsieur Poutine. Je fais référence, par exemple, à son allocution du 31 décembre qui me semble être tout à fait déconnectée de la réalité. »
Guerre de communiqués
L’état-major ukrainien avait confirmé lundi avoir mené la frappe le soir du Nouvel An sur cette ville, située à l’est de la ville séparatiste de Donetsk. Le département des communications stratégiques des forces armées ukrainiennes assure que ce sont près de 400 soldats russes qui ont été tués à Makeïevka.
Côté russe, le ministère russe de la Défense a fait état de l’explosion de « quatre missiles ». Ces missiles ont été tirés par des systèmes Himars, selon Moscou ; une arme fournie par les États-Unis aux forces ukrainiennes et qui ont frappé « un centre de déploiement provisoire » de l’armée russe à Makeïevka.
Le général russe Sergueï Sevrioukov a affirmé que ses forces avaient détruit plusieurs lance-missiles ukrainiens à Droujkivka, dans la région de Donetsk, et tué 200 Ukrainiens et mercenaires étrangers après l’attaque de Makeïevka. L’Ukraine a, de son côté, fait état d’un mort et de la destruction d’une patinoire.
L’annonce de ces lourdes pertes russes a immédiatement provoqué des critiques en Russie envers le commandement militaire, accusé notamment par l’ancien responsable séparatiste Igor Strelkov, très au fait de la situation sur le terrain, d’avoir entreposé des munitions dans ce bâtiment non protégé. Le président russe Vladimir Poutine n’a pas encore réagi publiquement à la frappe.
Vladimir Poutine exige la diffusion de documentaires sur l’opération militaire spéciale
Vladimir Poutine a ordonné mardi aux cinémas de diffuser des documentaires consacrés à « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Une nouvelle étape dans la mise en coupe réglée de l’espace culturel et médiatique russe.
Vladimir Poutine a donné des instructions précises : le ministère de la Défense devra offrir sa collaboration aux documentaristes souhaitant tourner des films « sur les participants à l’opération spéciale ayant fait preuve de valeur, de courage et d’héroïsme ». De son côté le ministère de la Culture est chargé d’organiser un « festival du documentaire patriotique ». Et en collaboration avec le ministère de l’Éducation, de créer des « espaces publics, installations d’art et musées scolaires » racontant l’histoire des héros de la guerre en Ukraine, et organiser des cours à leur sujet dans les écoles russes.
Un projet qui confirme deux tendances : celle, d’une part, d’une politisation effrénée des milieux scolaires. Et puis d’autre part, le nettoyage par le vide du champ médiatique et culturel, entièrement soumis à l’impératif de l’idéologie militariste et réactionnaire que promeut le Kremlin.
Il y avait déjà les films patriotiques, seuls à pouvoir prétendre à des financements du ministère de la Culture, les leçons de patriotisme et de militarisme à l’école, les médias indépendants bannis de Russie, la mise à l’index des livres écrits par des « agents de l’étranger » ou contenant le moindre soupçon de « propagande LGBT ». Au tour maintenant du film documentaire, jusqu’ici épargné par la censure, de se voir mis au pas.
AFP